L’intoxication à l’érable sycomore chez les chevaux

Gros plan sur des feuilles d'érable sycomore

Qui aurait imaginé que derrière ces petits fruits en forme d’hélicoptères que tout enfant adore faire voleter se cache en réalité un véritable poison pour les chevaux ? Eh oui ! les samares (c’est leur « vrai » nom), mais aussi les feuilles, les graines et les plantules de l’érable sycomore sont particulièrement toxiques et entraînent une affection redoutable et mortelle : la myopathie atypique. Aucun antidote ne peut lutter contre cette destruction massive et rapide des cellules musculaires. Seuls les soins palliatifs à base d’antalgiques, de fluidothérapie ou encore de carnitine peuvent changer la triste réalité des chiffres (70 % à 90 % de décès une fois la maladie contractée). Dans cet article, nous vous dévoilons comment reconnaître cet arbre, les symptômes qui doivent vous faire décrocher votre téléphone pour appeler le vétérinaire et les gestes d’urgence à réaliser en attendant son arrivée. Nous ferons enfin la part belle à la prévention, unique solution face à ce fléau saisonnier.

Reconnaître l’érable sycomore

Parce qu’il est particulièrement dangereux pour la santé de nos chevaux, il est primordial en tant que propriétaire de savoir reconnaître l’érable sycomore. Cet arbre, très commun en France et en Europe, peut atteindre 10 à 20 mètres de haut et prend racine aussi bien à la campagne (dans les forêts ou les abords des prés) qu’en ville (dans les jardins, les parcs ou sur le bord des routes).

La difficulté première est de distinguer l’érable sycomore des autres espèces d’érables… Et pour cause, plusieurs variétés cohabitent sous nos latitudes, mais elles ne sont pas toutes toxiques ! Ainsi, l’érable sycomore (ou Acer pseudoplatanus pour les latinistes) est l’ennemi public numéro 1 des équidés, mais il en va de même pour l’érable negundo (Acer negundo), espèce invasive venant tout droit d’outre-Atlantique que l’on retrouve de plus en plus dans le sud-ouest de l’Hexagone. Au contraire, l’érable plane (Acer platanoides) et l’érable champêtre (Acer campestre) sont tout à fait inoffensifs pour nos compagnons à quatre pattes.

Pour les différencier, inutile de sortir l’arsenal du « Parfait Botaniste » : servez-vous d’une application comme Clés de forêt, PlantSnap ou encore Pl@ntnet, toutes gratuites et disponibles sur Android et iOS !

Et si vous n’avez pas votre smartphone sous la main, voici quelques signes distinctifs à repérer :

  • Les feuilles de l’érable sycomore se caractérisent par 5 lobes aux contours finement dentelés et des pointes acérées, séparés par des échancrures profondes formant des angles aigus (moins de 90°).
  • Les feuilles de l’érable negundo, quant à elles, se différencient par leur composition de 5 à 7 petites feuilles ovales, aux bords inégalement dentés, parfois même lobés (attention à ne pas les confondre avec celles du frêne commun !).
  • Les samares (les petits fruits en forme d’hélices qui nous enchantaient tant enfant) de l’érable sycomore et de l’érable negundo forment un angle aigu de moins de 90° contrairement à ceux des autres variétés.

Les effets d’une ingestion d’érable sycomore sur le métabolisme des chevaux

Les jeunes pousses et les graines des érables sycomore et negundo renferment 2 substances toxiques : l’hypoglycine A (HGA) et la méthylène-cyclopropyle-glycine (MCPG). Une fois ingérés, ces éléments détruisent purement et simplement les muscles vitaux (respiratoires, posturaux et cardiaques) entraînant une affection souvent fatale, la myopathie atypique. Plus concrètement, l’HGA et la MCPG sont assimilés par le corps et perturbent le métabolisme et le transport des graisses. Résultat : les cellules musculaires perdent toute source d’énergie et meurent rapidement et surtout… massivement !

L’intoxication à l’érable sycomore et negundo n’est donc pas à prendre à la légère, notamment durant deux périodes particulièrement marquées : le printemps (de mars à mai) où les plantules germent, et l’automne (d’octobre à décembre) pendant lequel les samares tombent des arbres. D’ailleurs, cette maladie affecte tous les équidés, sans distinction de race ou de rusticité. Il est vrai cependant que les jeunes chevaux, les individus âgés, ainsi que ceux en sous-poids sont plus à risque.

Les symptômes d’une intoxication à l’érable sycomore

Si toutes les parties des érables sycomore et negundo sont dangereuses, la plupart des intoxications sont dues à l’ingestion des fameuses samares et des jeunes plantules. La dose toxique varie d’un arbre à l’autre, mais également de chaque cheval. Aussi est-il indispensable de bien surveiller les éventuels symptômes : ces derniers apparaissent, évoluent très rapidement après l’indigestion (en 48 h/72 heures) et peuvent entraîner la mort de l’équidé.

Les signes cliniques qui doivent impérativement vous mettre la puce à l’oreille :

  • des urines foncées (on parle alors de myoglobinurie) ;
  • une faiblesse généralisée avec raideurs de l’arrière-train et des membres inférieurs, et difficultés à se déplacer ;
  • un appétit exacerbé ;
  • des signes de coliques ;
  • des troubles du rythme cardiaque ;
  • une respiration difficile avec essoufflement au repos ;
  • des muqueuses foncées, souvent rouges au niveau des yeux ou des gencives ;
  • des tremblements ;
  • une transpiration excessive.

Comment réagir face à une intoxication à l’érable sycomore ?

Aucun traitement spécifique n’existe pour guérir d’une myopathie atypique. Pire, les chevaux malades succombent vite, souvent dans un délai de 72 heures (le taux de mortalité oscille entre 70 % et 90 %). Par conséquent, il est crucial de faire preuve de rapidité dans le diagnostic afin de mettre en place en vitesse un protocole symptomatique qui améliore sensiblement les chances de survie du cheval.

Bon à savoir : les individus capables de rester debout ont un meilleur pronostic. Leur métabolisme n’est pas (encore) trop touché.

En attendant l’arrivée du vétérinaire, vous devez donc réduire au minimum les mouvements de votre cheval pour ne pas aggraver son état en accélérant la dégradation musculaire. Si un abri est à proximité et qu’il peut se tenir sur ses jambes, amenez-le à son rythme à l’intérieur. Si ce n’est pas envisageable et que vous voyez votre compagnon prêt à se coucher, préparez rapidement une litière épaisse. Dans tous les cas, ne le forcez pas à rester debout ou, s’il s’est déjà allongé, à se relever.

Suivant le temps, n’hésitez pas à couvrir votre cheval et surveillez une éventuelle hypothermie ou une transpiration excessive (séchez-le avec un peu de paille ou une couverture). Vous pouvez aussi lui proposer de l’eau sucrée ou du foin s’il a du mal à déglutir. Enfin, le vétérinaire établira le diagnostic principalement par analyse urinaire. La collecte d’urine dans un récipient propre avant son arrivée vous fera donc gagner du temps.

Quel traitement symptomatique pour une myopathie atypique ?

Comme nous l’avons vu précédemment, aucun remède miracle n’existe à l’heure actuelle pour lutter contre la myopathie atypique. Le vétérinaire va donc mettre en place une prise en charge uniquement palliative avec :

  • Des antalgiques : en soulageant la douleur, l’administration d’antalgiques permet au cheval de se relever et d’améliorer sa respiration. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), tels que le kétoprofène ou le méloxicam en voie intraveineuse, sont préférés aux opioïdes. En effet, ces derniers peuvent entraîner une dépression respiratoire, une constipation et une diminution de la fréquence cardiaque.
  • De la fluidothérapie : en mettant le cheval sous perfusion, le vétérinaire tente de rétablir le taux d’hydratation et l’équilibre ionique physiologique, et de soutenir le travail des reins qui cherchent à évacuer les toxines. L’administration intraveineuse est recommandée jusqu’à ce que les urines redeviennent jaunes. La voie orale via une sonde naso-gastrique, quant à elle, n’est pas conseillée : trop stressante !
  • Un sondage de la vessie : alors que la myopathie atypique entraîne souvent une rétention urinaire, et étant donné que l’élimination de la toxine se fait par voie urinaire, il est indispensable de s’assurer de la vidange complète de la vessie pour aider le cheval et préserver ses reins.
  • De l’insuline : le vétérinaire va surveiller la glycémie de l’équidé et administrer de l’insuline si cette dernière augmente considérablement.
  • De la carnitine : grâce à ses propriétés détoxifiantes reconnues et sa capacité à stimuler le métabolisme du glucose, la carnitine est administrée par voie orale. L’administration intraveineuse est plus rapide, mais n’est pas disponible en France.
  • De la vitamine B2 (ou riboflavine) accompagnée de vitamine E et sélénium : un cocktail détonnant pour donner un coup de boost à l’animal.

Prévenir l’intoxication à l’érable sycomore

S’il n’est pas possible de soigner l’intoxication à l’érable sycomore et la myopathie atypique qui en découle, la prévention est la clé ! Voici quelques points à garder à tête pour protéger votre cheval.

Tout d’abord, la contamination des prés par les samares ou les jeunes plantules d’érables ne signifie pas forcément que ces arbres se trouvent dans la pâture elle-même. En effet, les prairies qui jouxtent directement des érables sycomores, que ce soit par des haies ou la proximité de bois, présentent autant de risques que celles où ces arbres sont présents. Ainsi, pendant les périodes à risque, c’est-à-dire au printemps et en automne, vous devez rester vigilant et suivre les alertes émises par le RESPE (Réseau d’épidémio-surveillance en pathologie équine). Il est tout aussi important de signaler tout cas suspect pour contribuer à la surveillance et à la prévention de la maladie.

En toute logique, il est recommandé de privilégier les prés éloignés des érables pour réduire l’exposition aux sources toxiques. Lorsque cela n’est pas envisageable, il peut être nécessaire de restreindre l’accès à certaines zones de la parcelle. En période de vents forts, notamment à l’automne, il est conseillé d’inspecter les pâtures pour identifier les endroits contaminés par les samares et de les retirer si possible. Si vous êtes envahi, mieux vaut alors opter pour une clôture pour empêcher les chevaux d’y poser un sabot.

Il est également important d’éviter certaines pratiques agricoles comme l’épandage de fumier ou le hersage sur les prés contenant ou bordés par des érables sycomores, car elles pourraient favoriser la dispersion des toxines.

Bon à savoir : l’utilisation d’herbicides pour éliminer les plantules est déconseillée. En effet, les résidus restent toxiques, au-delà du fait que cette pratique nuit fortement à la biodiversité…

En complément, n’hésitez pas à fournir à votre cheval du fourrage supplémentaire (non contaminé bien sûr !), en veillant à ne pas le déposer à même le sol ou à proximité des érables. L’eau de boisson, elle, doit être servie dans des abreuvoirs automatiques propres ou, à défaut, dans des bacs à eau éloignés des érables pour éviter la contamination par les fleurs au printemps ou les feuilles et samares à l’automne.

Enfin, il est recommandé de laisser un bloc de sel à disposition des chevaux en permanence pour compléter leur alimentation.

Références :

RESPE – Réseau d’épidémio-surveillance en pathologie équine — Dossier « Plantes toxiques : érable sycomore »

IFCE – Equipedia « L’érable sycomore : une espèce d’érables toxique » par Nelly GENOUX (ingénieure agronome — ingénieure de développement IFCE), Dr Dominique VOTION (Docteure vétérinaire – Université de Liège) et Christel MARCILLAUD-PITEL (Docteure vétérinaire — directrice du RESPE)

Le Point Vétérinaire — Pratique Vétérinaire équine n° 201 du 01/01/2019 — « Myopathie atypique : les sources connues et suspectées d’intoxication » par Benoît Renaud, Anne-Christine François, Serge Rouxhet, Claude Dopagne, Christel Marcillaud-Pitel, Pascal Gustin et Dominique-Marie Votion

Le Point Vétérinaire —La Semaine Vétérinaire n° 1797 du 10/02/2019 « Quels traitements “basés sur l’évidence” pour la myopathie atypique ? » par Anne COUROUCÉ